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Traumatismes du rachis Laurent Riffaud, Service de Neurochirurgie, CHU de Rennes TRAUMATISMES DU RACHIS Fréquence : 2 à 8 traumatisés médullaires / 100000 habitants. Age : 15 à 24 ans, sexe : 3 hommes pour 1 femme. Les accidents de roulage représentent la moitié des traumatismes rachidiens. Les complications neurologiques compliquent 14 à 30% des fractures vertébrales et plus de 10% s’aggravent secondairement. I - RAPPEL A – ANATOMIE Lors d’un traumatisme du rachis, tout élément nerveux peut être lésé : la moelle épinière et les nerfs rachidiens. La moelle épinière entourée de ses méninges s’étend dans le canal vertébral, de la première vertèbre cervicale jusqu’à l’extrémité inférieure de la première vertèbre lombaire. Le sac dural continue jusqu’à la deuxième vertèbre sacrée. L’extrémité distale de la moelle épinière est appelée le cône médullaire ou cône terminal. Les racines provenant des derniers segments médullaires, lombaires et sacrés, constituent les racines de la queue de cheval et occupent le sac dural au-delà du cône terminal. B – PHYSIOPATHOLOGIE La lésion médullaire au cours d’un traumatisme est très rarement ischémique pure et il s’agit le plus souvent d’un élément ostéo-articulaire déplacé. La gravité des traumatismes médullaires est due à la fragilité de la moelle épinière et à l’absence de réparation possible. Toute solution de continuité est définitive et une simple contusion peut entraîner une section médullaire par un phénomène incontrôlable de nécrose. Lorsque l’interruption est définitive, la sémiologie clinique évolue en deux phases : - Une phase initiale flasque : choc spinal où toute sensibilité, toute motricité et tout réflexe sont abolis au-dessous du niveau lésionnel. Le segment médullaire distal est alors libéré brutalement de la commande encéphalique et est en état de choc. - Une phase secondaire d’automatisme médullaire, spastique après un délai qui varie de quelques heures à quelques jours. Le segment médullaire distal, s’il n’est pas détruit, reprend une activité se traduisant par l’apparition de réflexes médullaires autonomes et cette seconde phase est celle observée dans les paralysies par compression médullaire lente avec spasticité. La récupération de cette activité réflexe se fait en premier dans le territoire sous- lésionnel des secteurs médullaires les moins dépendants de l’encéphale : apparition des réflexes périnéaux. - Dans de rares cas, la période de choc spinal est suivie rapidement d’une récupération complète ad integrum sans passage par une phase de spasticité. Ceci constitue la commotion médullaire qui n’a pas encore reçu d’explication. 1

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Traumatismes du rachis Laurent Riffaud, Service de Neurochirurgie, CHU de Rennes

TRAUMATISMES DU RACHIS

Fréquence : 2 à 8 traumatisés médullaires / 100000 habitants. Age : 15 à 24 ans, sexe : 3 hommes pour 1 femme. Les accidents de roulage représentent la moitié des traumatismes rachidiens. Les complications neurologiques compliquent 14 à 30% des fractures vertébrales et plus de 10% s’aggravent secondairement.

I - RAPPEL

A – ANATOMIE Lors d’un traumatisme du rachis, tout élément nerveux peut être lésé : la moelle épinière

et les nerfs rachidiens. La moelle épinière entourée de ses méninges s’étend dans le canal vertébral, de la première vertèbre cervicale jusqu’à l’extrémité inférieure de la première vertèbre lombaire. Le sac dural continue jusqu’à la deuxième vertèbre sacrée. L’extrémité distale de la moelle épinière est appelée le cône médullaire ou cône terminal. Les racines provenant des derniers segments médullaires, lombaires et sacrés, constituent les racines de la queue de cheval et occupent le sac dural au-delà du cône terminal.

B – PHYSIOPATHOLOGIE La lésion médullaire au cours d’un traumatisme est très rarement ischémique pure et il

s’agit le plus souvent d’un élément ostéo-articulaire déplacé. La gravité des traumatismes médullaires est due à la fragilité de la moelle épinière et à l’absence de réparation possible. Toute solution de continuité est définitive et une simple contusion peut entraîner une section médullaire par un phénomène incontrôlable de nécrose. Lorsque l’interruption est définitive, la sémiologie clinique évolue en deux phases :

- Une phase initiale flasque : choc spinal où toute sensibilité, toute motricité et tout

réflexe sont abolis au-dessous du niveau lésionnel. Le segment médullaire distal est alors libéré brutalement de la commande encéphalique et est en état de choc.

- Une phase secondaire d’automatisme médullaire, spastique après un délai qui varie

de quelques heures à quelques jours. Le segment médullaire distal, s’il n’est pas détruit, reprend une activité se traduisant par l’apparition de réflexes médullaires autonomes et cette seconde phase est celle observée dans les paralysies par compression médullaire lente avec spasticité. La récupération de cette activité réflexe se fait en premier dans le territoire sous-lésionnel des secteurs médullaires les moins dépendants de l’encéphale : apparition des réflexes périnéaux.

- Dans de rares cas, la période de choc spinal est suivie rapidement d’une récupération

complète ad integrum sans passage par une phase de spasticité. Ceci constitue la commotion médullaire qui n’a pas encore reçu d’explication.

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Traumatismes du rachis

C – CLINIQUE La tétraplégie est la paralysie des 4 membres. La paraplégie est la paralysie des 2

membres inférieurs. Il est indispensable de préciser le niveau médullaire de l’atteinte et le caractère partiel ou complet de l’atteinte.

L’examen clinique comprend donc l’étude de la motricité, l’étude de la sensibilité,

l’étude de la réflectivité, l’étude des fonctions végétatives. 1 – Atteinte médullaire complète Le niveau lésionnel est déterminé par le numéro du premier métamère médullaire

lésé (par exemple, une tétraplégie C5 signifie une atteinte du territoire C5 et des territoires situés en dessous). Il y a un décalage entre le métamère médullaire (myélomère) et le niveau vertébral : loi de Chipault du décalage progressif entre les niveaux médullaire et vertébral du à leur croissance embryologique différentielle.

- Au niveau cervical : Pour les niveaux allant jusqu’à C4, le pronostic vital est engagé à

court terme par atteinte des centres phréniques. La dépendance ventilatoire est totale. Pour le niveau C5, la fonction diaphragmatique intacte permet une autonomie respiratoire relative, mais la capacité vitale est réduite. Les 4 membres sont complètement paralysés. La sensibilité n’est perçue que par la tête, le cou et l’épaule. Le niveau C6 se détermine par un deltoïde et un biceps présents : la flexion de l’avant-bras est possible. Le niveau C7 se distingue par la présence des muscles radiaux permettant une extension du poignet. Le niveau C8 se caractérise par la présence du triceps permettant l’extension du coude et l’extension des doigts. Le niveau T1 est marqué par la présence des fléchisseurs des doigts. La musculature intrinsèque de la main est cependant absente. Les atteintes de C4 à C7 permettent une autonomie respiratoire relative par ventilation diaphragmatique, mais la paralysie des muscles intercostaux et abdominaux entraîne une baisse importante de la capacité vitale. De plus, l’impossibilité de la toux provoque une accumulation de sécrétion. En pratique, les tétraplégiques sont souvent ventilés artificiellement en phase initiale.

- Au niveau dorsal, en dessous de T1, chaque métamère fait gagner des muscles

intercostaux puis abdominaux, diminuant ainsi l’incidence du problème respiratoire. Un traumatisme thoracique ou une pathologie respiratoire préexistante majore l’insuffisance respiratoire du paralysé et ainsi l’encombrement, l’atélectasie, l’infection pulmonaire provoqués vont à leur tour aggraver le problème respiratoire. C’est la principale cause de décès en phase aiguë chez le tétraplégique. Au niveau T4, la sensibilité est abolie en dessous du mamelon (T6 : xiphoïde). Au niveau T10, la sensibilité est abolie en dessous de l’ombilic. Au niveau T12, la sensibilité est abolie en dessous du pli de l’aine et sous le pubis.

- Au niveau lombaire et au niveau sacré, plus les lésions sont distales et plus on

observe une intrication entre les lésions médullaires et radiculaires. En effet, il n’est pas possible de différencier cliniquement la destruction du cône médullaire de celle des racines issues du cône. L’atteinte médullaire L1 se caractérise par l’absence de motricité et de sensibilité des muscles des membres inférieurs. On retient la présence du psoas permettant la flexion de la hanche pour un niveau médullaire L3, du quadriceps permettant de verrouiller le genou pour un niveau médullaire L4, du muscle jambier antérieur permettant la flexion dorsale du pied pour un niveau L5. Chaque atteinte s’accompagne également d’une hypoesthésie du territoire intéressé.

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- Au niveau sacré, l’atteinte S1 se caractérise par une présence des ischio-jambiers, l’atteinte S2 se caractérise par la présence du triceps permettant la flexion plantaire du pied et l’atteinte des derniers niveaux sacrés S3 à S5 se caractérise par l’intégrité de tous les muscles des membres inférieurs. Dans ce cas, l’atteinte est alors limitée aux trois grandes fonctions sacrées : vésico-sphinctérienne, ano-rectale, génito-sexuelle.

Le déroulement normal de la miction est fondé sur une fonction harmonieuse et

synergique du détrusor (permettant l’expulsion de l’urine hors de la vessie) et des muscles sphincters lisses et striés permettant la continence. Les centres permettant la miction se situent au niveau médullaire S2 à S4 en regard de la première vertèbre lombaire et sont sous commande encéphalique. Lors du choc spinal, la rétention d’urine s’explique par la paralysie du détrusor et la persistance d’une activité musculaire réflexe du sphincter strié de l’urètre. En l’absence de drainage urinaire, la distension vésicale est rapide avec retentissement rénal secondaire. La prise en charge de cette rétention chez le blessé médullaire est donc fondamentale car elle peut exposer à une insuffisance rénale. Une fois passé le choc spinal, l’arc réflexe est intact pour les lésions supra-sacrées et les contractions vésicales indépendantes de la volonté peuvent apparaître : la vessie est dite réflexe, centrale ou automatique et la rééducation à pour objectif de trouver les stimuli efficaces pour déclencher la contraction du détrusor (percussion sus-pubienne habituellement). Pour les lésions sacrées, le centre spinal est détruit et l’arc réflexe est coupé. Le détrusor et les sphincters restent alors flasques, atones et c’est la poussée abdominale qui permet l’évacuation de la vessie. La vessie est dite autonome. Pour les atteintes incomplètes, des vessies mixtes apparaissent par atteinte dissociée.

2 – Atteinte médullaire incomplète L’atteinte médullaire incomplète est importante à reconnaître car elle témoigne de

l’existence d’une continuité médullaire anatomique et fonctionnelle de grande valeur pronostique. Elle concerne essentiellement le niveau cervical.

- Syndrome antérieur de la moelle épinière : diplégie brachiale flasque ou tétraplégie

avec anesthésie thermo-algique et conservation des sensibilités épicritique et proprioceptive. - Syndrome de Brown-Séquard ou d’hémisection médullaire : paralysie et anesthésie

épicritique et proprioceptive en dessous et du côté de la lésion, anesthésie thermo-algique du côté opposé.

- Syndrome central de la moelle épinière (contusion centro-médullaire) : syndrome des mains brûlantes associant des dysesthésies très douloureuses des membres supérieurs « en gant » et un déficit brachial, et en fonction de l’étendue des lésions : tétraparésie à prédominance brachiale , troubles sensitifs plus globaux mais restant dissociés (atteinte thermo-algique prédominante), troubles génito-sphinctériens modérés.

3 – Atteinte radiculaire

Les racines peuvent être sectionnées, étirées ou comprimées. La lésion peut siéger sur les racines motrices antérieures, sensitives postérieures ou au niveau du nerf spinal lui-même. Les racines n’ont pas la fragilité de la moelle épinière et si leur continuité anatomique est respectée, la récupération est la règle.

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La racine issue d’un foramen intervertébral au-dessus du niveau lésionnel peut être lésée. La récupération de sa fonction après traitement peut être d’une importance capitale en faisant gagner un niveau neurologique (surtout au rachis cervical), mais elle est souvent interprétée à tort comme une récupération médullaire.

Au niveau du rachis lombaire, les compressions intéressent les racines de la queue de cheval. Dans la forme majeure, le syndrome de la queue de cheval réalise une paralysie sensitivo-motrice flasque au-dessous de L2 : absence de fléchisseurs et extenseurs de jambe et de pied, anesthésie des territoires lombaire et sacré, abolition des réflexes ostéo-tendineux et bulbo-caverneux, impuissance et troubles génito-sphinctériens, vessie autonome périphérique. Dans les formes partielles : paralysie du pied, anesthésie en selle et troubles génito-sphinctériens.

4 – Signes de non-organicité La non-organicité d’un symptôme ne peut être établie qu’après avoir éliminé toute cause

organique par l’examen physique, radiologique et biologique. Sa distinction peut être difficile et il faut tenir compte du contexte socioculturel.

La non-organicité est suspectée sur l’association d’un certain nombre de signes : les réactions exagérées du traumatisé par la mimique, la parole, les simulacres d’évanouissement sont évocatrices. L’examen montre une hyperesthésie douloureuse diffuse ou de topographie aberrante majorée par une palpation ou une pression douce et non-appuyée, des déficits sensitifs et moteurs sans support anatomique.

L’existence de signes anorganiques peut ne pas traduire une simple simulation mais un trouble psychiatrique plus profond qu’il convient de ne pas négliger.

D – THERAPEUTIQUE Il n’existe aucun moyen actuel permettant de réparer une moelle épinière lésée. Aucun

des produits administrés par voie générale n’a fait la preuve de son efficacité ni même pour minimiser l’évolution de la nécrose.

Le traitement est (1) d’éviter l’aggravation des lésions neurologiques, (2) d’éviter la mort

par complication immédiate, (3) de réduire et stabiliser les lésions vertébrales. La prévention commence donc sur le lieu d’accident et le rachis doit être immobilisé en

rectitude. Toute mobilisation du blessé doit se faire à 4 ou 5 personnes, en monobloc. Le traumatisé rachidien est souvent polytraumatisé : chez le polytraumatisé non

paralysé, il ne faut pas méconnaître une lésion rachidienne, effectuer un palper prudent de tout l’axe rachidien ainsi qu’un bilan radiologique systématique de l’ensemble du rachis. De même chez le traumatisé crânien inconscient, on doit suspecter de façon systématique une lésion rachidienne jusqu’à preuve du contraire et effectuer une exploration radiologique complète systématique.

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1) Atteinte respiratoire : voir plus haut. C’est la principale cause de décès en phase aiguë

chez le tétraplégique : capacité vitale réduite, toux impossible, accumulation des sécrétions, atélectasie et surinfections sont facteurs d’une dépendance ventilatoire.

2) Atteinte du système cardio-vasculaire : Elle existe dans les lésions hautes par paralysie

du système sympathique et libération du tonus vagal provoquant une bradycardie sinusale et une hypotension artérielle par vasoplégie massive. Il faudra donc éviter toute surcharge volumique pouvant provoquer un œdème aigu pulmonaire. Il existe un risque d’arrêt cardiaque à l’induction d’une anesthésie générale (qui provoque sa propre vasoplégie). La prévention des complications thrombo-emboliques doit être systématique. Les tétraplégiques doivent être protégés des températures extrêmes du fait de la disparition des phénomènes de thermorégulation dans le territoire sous-lésionnel.

3) Atteinte du système digestif : La pose d’une sonde gastrique permet de vider l’estomac,

d’éviter une inhalation et de prévenir une dilatation aiguë gastrique. Les ulcères de stress sont fréquents provoquant des hémorragies digestives cataclysmiques. Enfin, une paralysie du péristaltisme et de la fonction ano-rectale se produit lors du choc spinal initial.

4) Atteinte du système urinaire : Pendant le choc spinal, il y a une rétention d’urine et leur

drainage est urgent. Elle se fera au mieux par une sonde vésicale à demeure en phase aiguë plutôt que des sondages intermittents ou bien par un cathétérisme sus-pubien en cas de lésion du bassin associée. La pose d’une sonde urinaire est mise en place avec une asepsie rigoureuse car le taux d’infection est important. Outre le drainage urinaire, elle permet la surveillance de la diurèse horaire.

5) Atteinte du système neurologique : Il est indispensable de situer le niveau lésionnel

médullaire, de reconnaître si l’atteinte est complète ou incomplète et de constater si l’atteinte est fixe, si elle s’aggrave ou si elle régresse. L’examen de la motricité s’apprécie par la présence de mouvements volontaires au niveau de muscles ou groupes musculaires et l’évaluation stricte de la force musculaire est inutile à ce stade. De même en urgence, l’analyse sensitive est difficilement réalisable. Il est indispensable de situer la hauteur du déficit sensitif et de marquer celui-ci au stylo sur la peau. L’examen de la zone anale et péri-anale est primordiale. La réapparition d’une activité périnéale réflexe : réflexe bulbo-caverneux ou clitorido-anal chez un blessé médullaire n’ayant aucun contrôle ou aucune sensation dans le territoire sacré est de très mauvais pronostic et signe le probable caractère complet et définitif de la paralysie (réflexe bulbo-caverneux et clitorido-anal : la compression du pénis ou du clitoris entraîne la contraction du sphincter anal).

6) Atteinte des vertèbres : Il est indispensable de réduire en urgence les déplacements qui

compriment le névraxe et d’assurer une bonne contention pour permettre la consolidation. La chirurgie a l’avantage d’effectuer une réduction des déplacements sous contrôle de la vue, de réduire un éventuel agent compressif et de permettre une ostéosynthèse qui autorise une mobilisation et un lever précoce ainsi qu’une consolidation en bonne position. Elle expose cependant à un certain nombre de complications et la décision ne peut être envisagée qu’en milieu spécialisé.

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II – CONDUITE A TENIR DANS LES PREMIERES HEURES DEVANT UNE PARAPLEGIE OU UNE TETRAPLEGIE TRAUMATIQUE

Une fois que le diagnostic de « rachis neurologique » est posé (soit par l’équipe de

ramassage, soit lors de l’évaluation initiale clinique et radiologique), le blessé doit être immobilisé, réchauffé et la contention est assuré par un matelas-coquille à dépression. Les déplacements se font avec précaution, « en monobloc », c’est à dire rachis en rectitude avec plusieurs personnes.

On doit pouvoir disposer à ce stade d’une voie d’abord veineux, d’un monitorage du pouls et de TA.

Le traitement impose un transfert RAPIDE vers un centre spécialisé permettant souvent une approche multidisciplinaire.

- A l’admission, le blessé doit être complètement examiné tant d’un point de vue

neurologique que général, appareil par appareil, d’autant plus que l’on se trouve devant un patient victime d’un polytraumatisme.

- L’interrogatoire est primordial à la recherche des antécédents du patient (médicaux,

chirurgicaux, notion d’allergie, médicaments pris au long cours ou de façon séquentielle), les circonstances précises de l’accident ainsi que son horaire.

- Une évaluation radiologique exhaustive comprenant des radiographies standards

et une tomodensitométrie centrée sur les lésions sont demandées en urgence. Dans l’idéal, le radiologue est sur place à l’arrivée du patient pour ne pas perdre de temps.

- Les prélèvements sanguins sont également demandés : numération formule sanguine,

plaquettes, coagulation, groupe rhésus RAI, ionogramme sanguin, urée-créatininémie au minimum et des gaz du sang s’il s’agit d’une tétraplégie.

- Réalisation d’un électrocardiogramme complet et monitoring du rythme cardiaque. - Pose d’une sonde urinaire à demeure avec le maximum d’asepsie. - Pose d’une sonde gastrique. - Une radiographie standard pulmonaire fait également partie du bilan initial. Le reste des examens radiologiques est demandé en fonction des points d’appel

(tomodensitométrie crânienne, tomodensitométrie thoracique, échographie abdominale…). - Après les prélèvements sanguins, mise en place d’une voie d’abord périphérique de

bon calibre. La pose d’un cathéter central ne se conçoit que par un médecin averti ou en salle de déchocage.

A – SYSTEME RESPIRATOIRE Il est indispensable de s’assurer de la parfaite liberté des voies aériennes supérieures.

On réalise en urgence une radiographie pulmonaire, voire une tomodensitométrie du thorax en fonction du type de traumatisme, de l’état clinique et de la radiographie pulmonaire.

Une oxygénothérapie est mise en place au besoin, et des gaz du sang sont réalisés en urgence s’il s’agit d’une tétraplégie. S’il existe une détresse respiratoire : intubation endotrachéale.

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B – SYSTEME CARDIO-VASCULAIRE Il faut apprécier la bradycardie et l’hypotension artérielle et éviter la mobilisation

brutale du patient, particulièrement le retournement ou la verticalisation brusque qui peut entraîner un arrêt circulatoire par désamorçage de la pompe cardiaque. La surveillance se fait par la mesure du pouls, de la tension artérielle, de l’électrocardiogramme et au mieux de la pression veineuse centrale surtout en cas de tétraplégie. Les pertes sanguines sont compensées en surveillant la pression veineuse centrale afin d’éviter une surcharge et un œdème aigu du poumon par vasoplégie périphérique.

Des signes cliniques d’hypovolémie (cyanose, froideur des extrémités, sueur, soif, voire pâleur) doivent faire rechercher systématiquement un hémothorax ou un hémopéritoine.

C – SYSTEME DIGESTIF La mise en place d’une sonde gastrique permet la vidange gastrique, la prévention d’une

inhalation si vomissements et la prévention d’une dilatation aiguë gastrique. D – SYSTEME URINAIRE La rétention aiguë d’urine est immédiate après le traumatisme médullaire. Elle impose la

mise en place d’une sonde à demeure qui permet de surveiller la diurèse horaire et d’éviter la distension vésicale. La présence d’une hématurie doit faire craindre une lésion rénale ou vésico-urétrale associée.

E – SYSTEME NEUROLOGIQUE L’examen neurologique initial et répété est fondamental d’un point de vue diagnostique,

pronostique et thérapeutique. Il doit être consigné par écrit en marquant le nom de l’examinateur, la date et l’horaire de l’examen.

Celui-ci donne le niveau lésionnel médullaire, son évolution dans le temps, son

caractère complet ou incomplet. L’examen se base sur la motricité, la sensibilité par le toucher et la piqûre, et l’examen de la zone anale et péri-anale est très important. Le toucher rectal explore le tonus du sphincter anal (flasque lors de la phase de sidération), la sensibilité anale ainsi que la présence ou non du réflexe bulbo-caverneux.

Enfin, l’étude des réflexes : les réflexes ostéotendineux sont abolis au-dessous de la zone lésionnelle et leur réapparition témoigne d’une reprise d’autonomie médullaire. Le réflexe cutané plantaire est tout d’abord aboli lors de la phase de sidération, puis le signe de Babinski apparaît lors de la reprise d’autonomie.

La hauteur du déficit sensitif est marquée sur la peau au stylo.

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F – RACHIS La visualisation et la compréhension parfaite des lésions rachidiennes sont absolument

nécessaires pour envisager la suite du traitement. Pour effectuer les différents examens radiologiques, la plus grande prudence est recommandée et la mobilisation se fera à l’aide de plusieurs aides en monobloc.

Les radiographies standards du rachis de face et de profil concernent l’ensemble du

rachis en se méfiant des lésions bifocales pour tout polytraumatisé ou tout patient pour lequel l’interrogatoire et l’examen ne sont pas fiables.

Des radiographies standards centrées sur le segment suspecté sont réalisées ainsi qu’une

tomodensitométrie en coupes axiales, fenêtres osseuses et au mieux reconstructions sagittales en prenant largement au-dessus et au-dessous de la lésion. Ces examens permettent de préciser le niveau et l’étendue des lésions, le type de la lésion, l’instabilité potentielle (type du trait de fracture, déplacement des vertèbres) et l’existence ou non d’une compression médullaire avec modification du calibre du canal vertébral.

L’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) n’a pas sa place dans l’évaluation en

urgence des anomalies vertébrales. Elle ne se conçoit qu’en cas de paraplégie ou tétraplégie avec bilan osseux normal à la recherche d’une contusion médullaire. Elle peut permettre également de diagnostiquer de rares hématorachis (hématomes rachidiens épiduraux ou sous-duraux), seule indication d’une chirurgie en urgence en l’absence de lésion vertébrale manifeste. En effet, la contusion médullaire n’a pas de solution chirurgicale.

Au décours de ce bilan radiologique, le traitement sera envisagé dont le principe est de :

- réduire en urgence les déplacements et maintenir la correction,

- supprimer un élément de compression du névraxe,

- stabiliser le rachis et faire disparaître la douleur en supprimant le mouvement. G – AUTRES LESIONS ASSOCIEES Il peut s’agir de :

- Traumatisme crânien avec altération de la conscience imposant un examen tomodensitométrique crânien.

- Traumatisme thoracique avec volet costal, pneumothorax, hémothorax… - Traumatisme des membres, traumatisme abdominal, traumatisme facial,…

Dans ces cas, le traitement doit sauver la vie du blessé en traitant en urgence chacune de

ces complications qui doivent être stabilisées avant d’envisager le traitement de la colonne vertébrale.

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III – LES COMPLICATIONS PRECOCES A – LES COMPLICATIONS RESPIRATOIRES Ce sont elles qui dominent le pronostic vital en phase aiguë et concernent surtout les

tétraplégies et les paraplégies hautes. Il s’agit d’un encombrement bronchique, d’une atélectasie, d’une infection pulmonaire qui peuvent entretenir un cercle vicieux d’insuffisance respiratoire. Il faut lutter contre l’encombrement et l’atélectasie par une aspiration des sécrétions et une kinésithérapie pluri-quotidiennes afin d’assister la toux, lutter contre les causes aggravantes et avoir recours à la ventilation artificielle au besoin.

B – LES COMPLICATIONS CARDIO-VASCULAIRES Les accidents thrombo-emboliques sont prévenus par la mobilisation des membres

inférieurs, leur surélévation, l’héparinothérapie systématique en l’absence de contre-indication. On se méfiera des surcharges volémiques pouvant entraîner un œdème aigu du poumon et des arrêts circulatoires pouvant survenir lors de l’induction d’une anesthésie générale, une mobilisation du patient, une stimulation vagale surajoutée comme une aspiration trachéale.

C – LES COMPLICATIONS DIGESTIVES L’aspiration gastrique prévient de la dilatation aiguë de l’estomac. L’ulcère de stress

entraînant une hémorragie digestive est prévenue par la prescription d’inhibiteurs de la pompe à proton et l’iléus paralytique secondaire aux lésions neurologiques impose une alimentation parentérale de plusieurs jours.

D – LES COMPLICATIONS URINAIRES Il faut bien veiller à l’asepsie rigoureuse du système de sondage urinaire afin de prévenir

une infection pouvant se compliquer de prostatites, d’orchi-épididymites, de septicémies. E – LES CMPLICATIONS CUTANEES La prévention précoce des escarres est systématique compte tenu de la position

décubitus prolongée et de la perte de sensibilité du patient. Cette prévention repose sur l’utilisation de lits fluidisés, des changements fréquents de position et des frictions et massages aux points d’appui.

F – LES COMPLICATIONS PSYCHOLOGIQUES La prise en charge spécialisée psychiatrique devrait être indispensable dans les

traumatisés médullaires graves. L’environnement médical et familial est très important en ménageant toujours au blessé un espoir. Il ne s’agit pas non plus de favoriser un optimisme qui pourrait être mal interprété par le patient. La prescription d’antidépresseurs de nouvelle génération devrait être systématique ainsi que d’anxiolytiques dès la phase aiguë passée.

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Traumatismes du rachis

TRAUMATISMES DU RACHIS CERVICAL Ce sont les plus fréquents des traumatismes du rachis. Le risque est celui d’une lésion

médullaire qui peut être soit contemporaine du traumatisme, soit apparaître secondairement lors du déplacement d’une lésion instable.

Les lésions les plus fréquentes sont disco-ligamentaires (75%).

I - RAPPEL Il y a 7 vertèbres cervicales. Elles supportent le poids de la tête et l’orientent dans

l’espace en protégeant la moelle épinière et les artères vertébrales. On distingue le rachis cervical supérieur (C1 et C2 c’est à dire l’atlas et l’axis) dont l’anatomie est très distincte du reste du rachis cervical (C3 à C7).

A – LE RACHIS CERVICAL SUPERIEUR L’atlas (C1) n’a pas de corps vertébral mais elle est constituée de 2 masses latérales

réunies en avant et en arrière par un arc osseux. Les facettes articulaires supérieures des masses latérales correspondent aux condyles occipitaux et les facettes articulaires inférieures correspondent aux surfaces articulaires supérieures du corps de l’axis. Entre chaque masse latérale est tendu de façon transversale un ligament épais et solide (le ligament transverse) qui divise ainsi l’espace en un compartiment antérieur qui reçoit l’apophyse odontoïde de C2 et un compartiment postérieur où passe la moelle épinière.

L’axis (C2) comporte un corps vertébral sur lequel se fixe l’apophyse odontoïde en forme

de dent, qui s’engage entre l’arc antérieur de l’atlas et le ligament transverse. La zone anatomique qui sépare les facettes articulaires supérieures qui s’articulent avec l’atlas et les facettes articulaires inférieures qui s’articulent avec C3 s’appelle l’isthme vertébral (ou « pédicule chirurgical » de C2). C1 et C2 sont donc doublement articulés : d’une part par l’articulation atlanto-axoïdienne droite et gauche et d’autre part par l’articulation atlanto-odontoïdienne. Ce complexe C1-C2 est particulièrement adapté à la rotation de la tête (40° soit 60% de la rotation axiale totale du rachis cervical). En effet, l’atlas tourne autour du pivot réalisé par le processus odontoïde et permet ainsi à la tête de dire "non". Il n’y a pas de disque intervertébral entre ces deux vertèbres, pas de ligament jaune et l’artère vertébrale effectue une boucle au niveau de C1 pour pénétrer dans le foramen magnum.

B – LE RACHIS CERVICAL INFERIEUR Il est constitué par 5 vertèbres (C3 à C7) empilées les unes sur les autres en réalisant une

lordose cervicale. La vertèbre cervicale type est caractérisée par un corps vertébral antérieur et la présence des apophyses unciformes sur ce corps vertébral permet l’emboîtement des corps vertébraux les uns sur les autres comme une pile d’assiettes. Entre chaque corps vertébraux se place le disque intervertébral. Les pédicules réunissent le corps vertébral en avant au massif articulaire en arrière et de chaque côté. Le canal rachidien est fermé en arrière par les lames et les épineuses. La taille des vertèbres augmente au fur et à mesure qu’on descend et l’épineuse de C7 est plus grande que les autres (« la proéminente »). Le rachis

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cervical inférieur permet la flexion-extension de la tête (10 à 20° à chaque étage), mais il existe également une mobilité rotatoire (5 à 10° à chaque étage) ou la possibilité d’une inclinaison latérale (5 à 10° au total).

Le segment mobile rachidien réunit tous les moyens d’union ligamentaires de ces

vertèbres assurant la stabilité du montage. Il est le même au niveau du rachis cervical inférieur et au niveau du rachis dorso-lombaire. Ce segment mobile rachidien comprend d’avant en arrière : le ligament longitudinal antérieur, le disque intervertébral, le ligament longitudinal postérieur (tapissant la face postérieure des corps vertébraux et des disques intervertébraux à l’intérieur du canal rachidien), les capsules articulaires des massifs articulaires postéro-latéraux, le ligament jaune et le ligament inter-épineux.

Les lésions instables du rachis cervical sont dues à une perte de l’intégrité de ce segment

mobile rachidien. Son appréciation est cependant difficile compte tenu qu’il n’est pas radiologiquement visible et qu’il entraîne des signes indirects sur les radiographies standards.

Sur le plan osseux, les vertèbres cervicales répondent au même schéma que les vertèbres

dorsales et lombaires d’une vertèbre tripode avec 3 colonnes verticales d’appui : en avant, le corps vertébral et en arrière et latéralement, les massifs articulaires postéro-latéraux.

II – DIAGNOSTIC A – L’EXAMEN CLINIQUE L’examen clinique est conduit prudemment au besoin en décubitus dorsal, tête entre deux

sacs de sable. L’interrogatoire soigneux précise les antécédents du traumatisé (généraux et traumatiques), la date et l’heure du traumatisme ainsi que les circonstances de survenue.

Les circonstances évocatrices sont les chutes plongeantes (accident de sport ou

plongeon en eaux peu profondes), les traumatismes crâniens et les manœuvres de "va et vient". Le mécanisme de traumatisme est le plus souvent indirect par hyperflexion, hyperextension, décélération, choc latéral.

Les symptômes évocateurs peuvent être immédiats comme une douleur, la perception

d’un craquement, des paresthésies dans les mains ou bien secondaires comme des cervicalgies, une raideur, un torticolis, une sensation d’instabilité cervicale, des douleurs ou une sensation de faiblesse dans un membre supérieur voire dans les membres inférieurs.

L’examen du rachis cervical étudie le port de la tête à la recherche d’une attitude

guindée ou vicieuse et d’une limitation de la mobilité. L’examen comprend la palpation des épineuses à la recherche d’une douleur provoquée et l’étude des mobilités active et passive menées avec grande précaution et qui apprécie le degré de contracture musculaire. La douleur et la raideur sont constantes à des degrés variés du rachis cervical. Dans d’exceptionnels cas, il ne peut y avoir aucune symptomatologie ou bien les symptômes sont masqués par d’autres signes fonctionnels ou d’autres traumatismes. L’interrogatoire est donc primordial. Celui-ci recherchera le type de traumatisme et sa date de survenue.

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Les lésions rachidiennes cervicales entraînent des lésions médullaires qui peuvent être mortelles lorsqu’elles sont hautes. Les lésions radiculaires ne témoignent pas forcément d’une lésion du névraxe et peuvent s’observer dans des lésions rachidiennes stables. Ce n’est que le degré de compression médullaire qui fait la gravité de ces lésions rachidiennes médullaires.

L’examen neurologique analyse la motricité, la sensibilité et les réflexes en cherchant à

bien faire la différence entre le syndrome lésionnel dû à une lésion radiculaire (névralgie cervico-brachiale) et un syndrome sous-lésionnel par compression de la moelle épinière (déficit moteur ou sensitif des membres inférieurs, réflexes ostéotendineux vifs ou diffusés, signes pyramidaux en cas d’atteinte incomplète).

L’examen général est indispensable à la recherche d’une autre atteinte rachidienne et

d’une lésion d’un autre organe associée au traumatisme rachidien. B – LES PIEGES Il existe 3 pièges :

- Ne pas demander de radiographie et négliger ainsi une lésion instable chez un polytraumatisé ou chez un traumatisé crânien inconscient qui peut se solder secondairement par l’apparition d’un déficit neurologique.

- Ne pas voir le niveau lésé. Ceci est dû le plus souvent au fait de ne pas voir la totalité du

rachis cervical sur les radiographies standards de profil. Les 7 vertèbres cervicales doivent être visualisées avec au mieux la jonction cervico-thoracique.

- Ne pas voir la lésion peut être du à des radiographies standards de mauvaise qualité

qu’il ne faut hésiter à renouveler. L’analyse sémiologique radiologique doit se faire à partir de clichés de bonne qualité. Il ne faut pas hésiter à compléter l’examen radiologique standard par une tomodensitométrie. De plus, l’instabilité est une notion dynamique et les clichés standards faits en urgence sont le plus souvent statiques. Il ne faut pas se contenter uniquement de clichés statiques, mais savoir renouveler les clichés dynamiques lorsque l’interrogatoire et l’examen clinique font suspecter une lésion rachidienne même bénigne.

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C – LE DIAGNOSTIC RADIOLOGIQUE

1) Les clichés radiologiques standards sont indispensables et comprennent :

- un cliché du rachis cervical de profil,

- un cliché du rachis cervical de face, - un cliché du rachis cervical supérieur de face bouche ouverte dit "odontoïde

bouche ouverte". Le cliché radiologique cervical de profil est de grande importance. Il doit être

parfaitement de profil, c’est-à-dire que les bords postérieurs des branches montantes des deux mandibules doivent être superposées et toutes les vertèbres cervicales doivent être vues. Il peut être centré soit sur le rachis cervical supérieur, soit sur le rachis cervical inférieur. Si le rachis cervical inférieur ne peut pas être totalement visualisé, alors il ne faut hésiter à le renouveler en allant soi-même tirer sur les bras du patient avec douceur après l’avoir rassuré afin d’abaisser les épaules et d’obtenir un cliché radiologique de l’ensemble cervical. Si malgré cela, la jonction cervico-thoracique ne peut être visualisée ou si vous suspectez une lésion, alors un examen tomodensitométrique doit obligatoirement compléter les radiographies standards et le patient ne doit pas sortir de l’hôpital avant d’être certain de l’absence de lésion du rachis cervical. Ce cliché de profil peut être complété de façon séquentielle par des clichés de ¾ droit et gauche qui permettent de bien voir les articulaires postéro-latérales ainsi que les pédicules et les foramens intervertébraux.

Les clichés radiologiques standards dynamiques, c’est-à-dire de profil en flexion et

extension maximum, sont plutôt réalisés quelques jours après le traumatisme lorsque la contracture musculaire ne verrouille pas le squelette, lorsque le traumatisé est conscient et lorsqu’il peut participer à la mobilisation de la tête. Ces clichés sont au mieux réalisés en présence du médecin qui assure lui-même la flexion et l’extension. Dans un contexte traumatique, ils sont effectués avec prudence, suivis au besoin sous scopie par le médecin. Le déplacement d’une vertèbre par rapport à l’autre prouve l’instabilité.

L’analyse sémiologique radiologique du rachis cervical de profil se fait de la gauche

vers la droite et elle apprécie un certain nombre de lignes-repères :

- 1) la ligne tangente au bord antérieur des corps vertébraux.

L’épaisseur des parties molles prévertébrales situées entre la clarté aérique de l’axe pharyngo-trachéal en avant et les corps vertébraux en arrière correspondant à l’épaisseur des muscles longs du cou. L’épaississement localisé de cette zone traduit la présence d’un hématome qui est un bon témoin indirecte d’une lésion antérieure du rachis cervical. Au-dessous de C5, la présence de l’œsophage rend l’analyse plus difficile.

L’alignement des murs antérieurs des corps vertébraux se poursuit en avant par la

face antérieure de l’apophyse odontoïde au niveau de C2.

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- 2) la ligne tangente au bord postérieur des corps vertébraux.

C’est l’alignement des murs postérieurs des corps vertébraux.

- 3) la ligne tangente au bord postérieur des massifs articulaires postéro-latéraux.

L’empilement des massifs articulaires postéro-latéraux les uns sur les autres à la façon d’un empilement des tuiles d’un toit doit être régulier : la surface articulaire inférieure de la vertèbre supérieure vient recouvrir en arrière la surface articulaire supérieure de la vertèbre inférieure.

- 4) la ligne tangente à la racine de l’épineuse.

L’analyse des épineuses et surtout de l’écart inter-épineux recherche un bâillement anormal.

A l’état normal, les vertèbres cervicales sont parfaitement alignées en une lordose

harmonieuse. Les corticales antérieures et postérieures des corps vertébraux, les massifs articulaires postéro-latéraux et les bases des épineuses forment des lignes verticales régulières et parallèles entre elles. Toute irrégularité de ces lignes est suspecte.

2) La tomodensitométrie :

Si l’examen radiologique standard permet d’apprécier les signes indirects de l’instabilité par une bonne visualisation de l’ensemble du rachis cervical, c’est l’examen tomodensitométrique qui permet le mieux l’analyse osseuse. Cet examen est réalisé en coupes axiales et fenêtres osseuses sur la lésion pathologique sans oublier les segments sus et sous-jacents. Des reconstructions sagittales et coronales peuvent également être réalisées très rapidement avec les appareils de nouvelle génération où le temps d’acquisition des images est très court. Cet examen tomodensitométrique permet de comprendre le trait de fracture, c’est-à-dire son siège, le déplacement des structures osseuses et en particulier la réduction du calibre du canal vertébral à l’origine de la compression de la moelle épinière.

Des reconstructions tridimensionnelles peuvent aussi être réalisées mais le temps de leur acquisition ne doit pas retarder la prise en charge du traumatisé.

3) L’imagerie par résonance magnétique :

L’IRM visualise bien les parties molles ainsi qu’un éventuel signal anormal dans les corps vertébraux ou le disque intervertébral témoignant de la lésion. L’IRM permet surtout l’analyse de la moelle épinière en cas de contusion médullaire ainsi que l’espace sous-dural et épidural. L’IRM n’a pas d’indication en urgence sauf dans les lésions neurologiques inexpliquées, c’est-à-dire avec des examens radiologiques standards et scannographique normaux ne permettant pas d’expliquer l’handicap neurologique.

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III – TRAUMATISMES DU RACHIS CERVICAL SUPERIEUR Les lésions du rachis cervical sont souvent graves, mais cependant les complications

neurologiques sont rares en urgence. Ceci est dû au fait que l’atteinte médullaire au niveau C1-C2 de façon aiguë est souvent mortelle par paralysie diaphragmatique entraînant un arrêt respiratoire (loi du « tout ou rien »). Seuls les rescapés sont donc vus en urgence. Des lésions du rachis cervical supérieur non traitées laissent planer une menace de mort sur le patient pour un traumatisme ultérieur a minima. L’analyse des circonstances de l’accident est alors très importante et l’obtention de clichés radiologiques de bonne qualité centrés sur cette région cervicale est indispensable, à compléter par un examen tomodensitométrique chaque fois que nécessaire.

Les lésions les plus fréquentes du rachis cervical supérieur sont osseuses : fractures. A – LA FRACTURE DE C1 La fracture de Jefferson comprend dans sa description d’origine deux traits de fracture

sur l’arc antérieur et deux autres sur l’arc postérieur. Il s’agit donc d’une lésion à quatre fragments aboutissant à la séparation des masses latérales de l’atlas. Ces fractures ouvrent donc l’anneau atloïdien et n’expose pas au risque de compression aiguë du névraxe. Le mécanisme est le plus souvent un traumatisme en compression dans l’axe du rachis avec impact au niveau du vertex crânien. Le diagnostic est suspecté sur le cliché radiographique de face bouche ouverte du rachis cervical supérieur où l’on voit le déplacement latéral des masses latérales. Sur la radiographie de profil, on peut voir un trait de fracture sur l’arc postérieur. La fracture est analysée au mieux par l’examen tomodensitométrique en coupes axiales et fenêtres osseuses qui visualisent parfaitement la lésion. Ces fractures sont rares, mais de traitement difficile. Le traitement orthopédique d’immobilisation par une minerve moulée en plastique triple-appui occipito-sterno-mentonnier est le traitement de choix pendant 3 mois. Aucun mouvement de rotation, de flexion ou d’extension de la tête n’est autorisé. Cette minerve triple-appui peut comporter un bandeau frontal en velcros qui permet de libérer la mandibule pendant le temps des repas. Les radiographies standards sont réalisées systématiquement après l’immobilisation et au mieux une fois par mois. A 3 mois, une tomodensitométrie s’assure de la consolidation osseuse. En l’absence de consolidation, le traitement est poursuivi pendant 3 mois de plus. En cas de pseudarthrose, seule une arthrodèse occipito-cervicale par voie postérieure permet de réaliser un montage solide. Cette dernière est cependant très invalidante puisqu’elle fixe l’occiput au rachis cervical et n’autorise donc plus que de très faibles amplitudes latérales et de flexion-extension de la tête.

La réduction d’un déplacement par traction précédant une chirurgie ne se conçoit que dans les grands déplacements avec luxation associée. La traction est réalisée au lit du malade par un étrier à pointes de Gardner-Wells vissé sous anesthésie locale dans le scalp et l’os temporal, et relié à des poids par un système de poulies.

B – LA FRACTURE ISOLEE D’UN ARC DE C1 C’est une lésion stable et il faut éliminer une anomalie congénitale. C’est le plus souvent

l’arc postérieur qui est fracturé. Il faut systématiquement chercher une autre lésion. Elle peut être traité par simple collier mousse pendant un mois, puis rééducation.

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C – L’ENTORSE GRAVE C1-C2 Elle est due à la rupture du ligament transverse de C1. Cette entorse est affirmée lorsqu’il

existe un écart anormal entre la face postérieure de l’arc antérieur de C1 et la face antérieure de l’apophyse odontoïde. Un écart dépassant 3 mm est considéré comme pathologique. Il s’agit d’une éventualité très rare sans possibilité de réparation du ligament et le traitement est donc chirurgical par une arthrodèse C1-C2 par voie postérieure. En effet, il existe une menace de compression du névraxe (de la jonction bulbo-médullaire) par bascule de C1 sur C2.

La luxation rotatoire C1C2 uni- ou bilatérale est à évoquer systématiquement en cas

d’attitude en torticolis même plusieurs semaines après le traumatisme (très violent en principe). Le diagnostic est confirmé par la radiologie (tomodensitométrie avec reconstructions tridimensionnelles) montrant la perte de contact des surfaces articulaires. Le traitement est chirurgical par arthrodèse et greffe osseuse C1C2 par voie postérieure afin d’obtenir une fusion osseuse vertébrale C1C2 assurant une stabilité définitive.

D – LA FRACTURE DE L’APOPHYSE ODONTOIDE DE C2 C’est la plus fréquente des lésions du rachis cervical supérieur et son mécanisme est mal

élucidé. La fracture de l’odontoïde concerne le sujet jeune (accidents de la voie publique et de sport) mais aussi le sujet âgé (traumatisme mineur sur os fragile). Les signes cliniques sont la douleur, la contracture musculaire cervicale ou la limitation des mouvements de la tête mais ces signes peuvent manquer.

Il faut analyser la fracture pour séparer les lésions stables des lésions instables. Les complications outre l’atteinte neurologique le plus souvent fatale par paralysie respiratoire est la pseudarthrose de l'odontoïde, c’est-à-dire l’absence de consolidation après 6 mois d’immobilisation. La pseudarthrose peut entraîner un syndrome médullaire incomplet et laisse planer une menace vitale au traumatisé. Elle reste un problème thérapeutique délicat qui peut compromettre la fonction crânio-rachidienne de rotation de la tête.

Les fractures stables sont des fractures non déplacées (« engrainées »), qui ne se

déplacent aux clichés dynamiques prudents et qui consolident par immobilisation par minerve moulée en plastique rigide triple-appui pendant 3 mois.

Les fractures instables ou déplacées sont analysées selon 4 paramètres :

- Le niveau du trait de fracture : Les fractures du sommet sont rares, les fractures du col de l’odontoïde ont un risque élevé de pseudarthrose et les fractures de la base sont de bon pronostic.

- La direction du trait de fracture : Il est soit horizontal, soit oblique en avant et en bas

(OBAV), soit oblique en arrière et en bas (OBAR). Les OBAR sont de plus mauvais pronostic car elles se déplacent facilement vers l’arrière par traction de la musculature cervicale postérieure alors que les OBAV s’impactent plus facilement par le rappel postérieur de cette musculature.

- L’existence d’un écart inter-fragmentaire est un élément péjoratif. - L’âge du patient : Les pseudarthroses sont plus fréquentes après 50 ans.

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Ainsi, les éléments péjoratifs sont souvent regroupés : fracture OBAR siégeant au niveau du col avec écart inter-fragmentaire important. Ce type de fracture expose au risque de pseudarthrose, source d’instabilité chronique grave, et impose plutôt un traitement chirurgical de réduction du déplacement par traction à l’aide d’un étrier de Gardner-Wells, puis une contention au mieux par un vissage axial de l’odontoïde par voie antérieure (cervicotomie antéro-latérale). Ce traitement chirurgical permet de stabiliser immédiatement l’odontoïde par la présence de la vis, de recoller l’odontoïde à sa base en réduisant l’écart inter-fragmentaire (favorise la consolidation) et enfin permet le maintien de la physiologie de l’articulation C1-C2 autorisant la rotation de la tête. Ce traitement n’est pas réalisable dans les OBAV (car le trait de fracture se trouve parallèle à la direction du vissage), dans les fractures comminutives et chez les patients à thorax globuleux. Dans les OBAV très déplacés, le risque de pseudarthrose peut faire envisager une arthrodèse d’emblée par voie postérieure de type fixation C1C2 avec greffe osseuse.

E – LA FRACTURE DES ISTHMES DE C2 (ou « fracture bi-pediculaire de C2 ») C’est la fracture de l’isthme de C2 qui sépare les deux articulaires supérieur et inférieur.

Le mécanisme est une hyper-extension du rachis et de la tête. C’est la « fracture des pendus ». En effet la pendaison peut provoquer la mort par deux mécanismes : soit par asphyxie (pendaison « haut et court »), soit par un mécanisme rapide et brutal par section bulbo-médullaire lorsque le condamné chute dans une trappe entraînant une extension cervicale brutale. Ce mécanisme a été perfectionné en Grande-Bretagne au 19ème siècle par un dispositif placé sous le menton qui provoquait une hyperextension majeure et une mort immédiate.

Ce traumatisme peut provoquer de plus une déchirure du disque C2C3 et ainsi une entorse grave C2C3 : le bloc tête + C1 + corps de C2 bascule en avant créant sur la radiographie standard de profil un antélisthésis de C2 sur C3.

La fracture bi-isthmique de C2 est une lésion instable susceptible de consolider

lorsqu’elle est isolée et non déplacée. La contention est assuré par une minerve moulée en plastique triple-appui pendant 3 mois.

Dans les formes déplacées, la réduction est réalisée par une traction à l’aide d’un étrier de Gardner-Wells puis la contention consiste en une arthrodèse par voie postérieure : vissage des isthmes de C2 (associé à une plaque vissée C2C3 s’il existe une entorse grave C2C3 associée). Il s’agit d’une chirurgie très délicate et difficile, réservée à une équipe entraînée et spécialisée tout comme le vissage de l’odontoïde.

IV – LES LESIONS DU RACHIS CERVICAL INFERIEUR Les lésions les plus fréquentes du rachis cervical inférieur sont disco-ligamentaires :

fractures-luxations, luxations et entorses graves. Les mécanismes des lésions du rachis cervical peuvent être : en flexion (entorse, luxation

bilatérale, tassement cunéiforme antérieur, fracture en tear-drop), en flexion-rotation (luxation unilatérale), ou en extension avec mécanisme de va-et-vient du cou (coup de fouet).

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La classification en lésions stables et instables a l’avantage de dicter la conduite thérapeutique.

La stabilité du rachis est le maintien de la cohésion des vertèbres dans toutes les

positions du corps. L’instabilité se manifeste par des éléments de certitude :

- clinique : atteinte médullaire, - radiologique : rupture du segment mobile rachidien prouvée par l’association d’un écart

inter-épineux important, d’un déchaussement des articulaires postérieures, d’une translation du mur postérieur d’une vertèbre par rapport à l’autre, d’un pincement ou bâillement discal ou d’une rupture du mur postérieur du corps vertébral. Ces éléments radiologiques peuvent être visibles de façon statique ou être démasqués par un cliché dynamique.

Ainsi, si l’instabilité osseuse pure est rare au niveau du rachis cervical inférieur, ce sont bien les lésions disco-ligamentaires qui prédominent au niveau du rachis cervical inférieur et qui exposent aux risques d’instabilité. Les lésions instables sont les entorses graves, les luxations uni ou bilatérales, les fractures en « tear-drop », les fractures articulaires ainsi que les fractures corporéales comminutives. L’instabilité est de type horizontal, aigu et durable, menaçant le névraxe par cisaillement.

A – LES LESIONS STABLES - Les entorses bénignes : Elles sont dues à une manœuvre de va-et-vient le plus

souvent par traumatisme mineur. L’examen clinique neurologique ne retrouve aucun signe déficitaire objectif. Le patient se plaint d’une sensation d’endolorissement passager du cou ou de cervicalgies accompagnées de signes fonctionnels riches : céphalées, dorsalgies, vertiges, fatigue, nausées, dépression, anxiété, troubles visuels, paresthésies diffuses. On retrouve à la palpation du rachis des points douloureux postérieur et antérieur et la mobilité active est souvent limitée avec des contractures musculaires, mais la mobilisation passive ou douce est normale. Le bilan radiologique est normal, mais il peut exister une rigidité globale ou segmentaire de la colonne rachidienne cervicale. Les clichés dynamiques réalisés à distance sont normaux. Le traitement comprend une immobilisation cervicale par un collier mousse pour lutter contre la douleur et la contracture jusqu’au renouvellement des clichés dynamiques. Il est indispensable de ne pas laisser ce collier cervical afin d’éviter au traumatisé de « s’enkyster » dans son traumatisme. Le traitement dure au maximum 15 jours. On peut y associer la prescription d’antalgiques, de décontracturants, d’anxiolytiques, puis une rééducation douce par la suite pour réassurer le patient.

- Les fractures isolées des épineuses ne posent pas de problème de stabilité ainsi que

les tassements cunéiformes antérieurs avec intégrité du mur postérieur. On s’assurera de l’absence d’entorse grave associée par des clichés dynamiques à distance. Le traitement sera assuré par une simple immobilisation par collier mousse adapté pendant une durée maximum d’un mois.

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B – LES LESIONS INSTABLES La majorité des lésions instables justifie un traitement chirurgical avec au besoin une

traction pré- et per-opératoire en cas de déplacement des structures vertébrales. L’existence de signes neurologiques impose une réduction en urgence soit par traction, soit par abord chirurgical direct. Si l’immobilisation par contention externe est choisie, elle doit se faire pour une durée de 3 mois associée à une rééducation isométrique sous minerve puis dynamique ensuite, avec contrôle radiologique mensuel statique, puis dynamique à la fin du traitement.

- Les entorses graves : Le mécanisme et l’histoire clinique sont voisins de l’entorse

bénigne. La déchirure disco-ligamentaire sans déplacement définit l’entorse grave. Sur les radiographies standards, 3 signes anormaux sur les clichés de profil doivent

mettre en alerte : 1) un écart inter-épineux anormalement élevé, 2) des surfaces articulaires postérieures non parallèles, 3) une cyphose discale avec bâillement au niveau incriminé.

Les clichés dynamiques après quelques jours d’immobilisation démasquent l’instabilité en montrant un déchaussement ou un décoiffement des articulaires postérieures de plus la moitié de la surface et la translation en avant de la vertèbre sus-jacente sur la vertèbre sous-jacente lors du cliché en flexion. Le traitement est chirurgical et réalisé le plus souvent par voie antérieure (par cervicotomie antéro-latérale) : dissectomie (ablation du disque intervertébral) au niveau incriminé avec interposition d’un greffon osseux iliaque et mise en place d’une plaque d’arthrodèse en titane sur les faces antérieures des corps vertébraux (assurant une stabilité immédiate et le maintien du greffon en place). La fusion des corps vertébraux sus- et sous-jacents avec le greffon osseux (minimum 3 mois) assure la stabilité définitive du rachis au niveau lésé.

- La fracture en « tear-drop » : Lors d’un mécanisme en hyperflexion, la déchirure d’arrière en avant détache un fragment antérieur de corps vertébral au lieu de se terminer dans le disque. Ce fragment osseux détaché du coin antéro-inférieur du corps vertébral donne l’aspect d’une larme d’où tient le nom de la fracture (tear). La lésion médullaire est fréquente dans ce type de fracture et radiologiquement au fragment osseux s’associent des signes d’entorse grave (bâillement discal, déplacement du mur postérieur, décoiffement des articulaires postérieures, écart inter-épineux anormal). Le traitement est chirurgical et est identique à celui des entorses graves.

- La luxation unilatérale : Elle est due à un mécanisme à la fois de flexion et de

rotation d’un seul côté. Elle se traduit souvent par un syndrome radiculaire isolé correspondant au côté et au niveau de la luxation. Le diagnostic radiologique est très difficile et peut être suspecté sur le cliché radiologique de face par une brusque déviation de l’épineuse par rapport aux voisines. Sur le cliché de profil, les vertèbres sus-jacentes luxées apparaissent de profil et le rachis en dessous apparaît de ¾ (ou vice versa : le rachis sous la lésion est de profil et la vertèbre luxée de ¾). La non-superposition des massifs articulaires de profil qui apparaissent décalés donne le signe du « bonnet d’âne » de Roy-Camille. Il est donc indispensable d’avoir des radiographies standards de rachis cervical de profil d’excellente qualité afin de pouvoir faire le diagnostic radiologique de cette lésion. Au moindre doute, l’examen tomodensitométrique permet d’affirmer la luxation. Le traitement est chirurgical pour permettre une stabilisation des lésions par ostéosynthèse et peut être précédée d’une tentative de réduction par traction.

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- La luxation bilatérale : Elle est due à un phénomène d’hyperflexion avec luxation des deux articulaires postérieures. L’atteinte médullaire est très fréquente. Le diagnostic radiologique est le plus souvent facile car le déplacement en avant de la vertèbre sus-jacente luxée est impressionnant. L’accrochage articulaire est réalisé lorsque les articulaires de la vertèbre supérieure sont en avant des articulaires de la vertèbre inférieure. Lorsque les articulaires sont situées en bout à bout, l’affrontement des pointes articulaires peut basculer favorablement en position anatomique ou inversement en position d’accrochage. Le piège est de méconnaître une luxation de la jonction cervico-thoracique C7-T1 en se contentant de clichés radiologiques de profil sans voir toutes les vertèbres cervicales. Il s’agit d’une lésion particulièrement instable dont le traitement est chirurgical, précédé d’une traction cervicale par étrier de Gardner afin d’essayer d’obtenir une réduction. En cas d’échec de réduction, une dernière tentative de réduction sous anesthésie générale au moment de la chirurgie est entreprise ce qui permet de réaliser alors une arthrodèse par voie antérieure selon les modalités précédentes. Si la réduction n’est pas obtenue, alors l’abord chirurgical se fera par voie postérieure afin de permettre une réduction sanglante de la luxation puis une arthrodèse. Les suites et complications post-opératoires sont en général moins compliquées lors d’un abord par voie antérieure.

- Les fractures comminutives du corps vertébral : Elles sont le plus souvent dues à

une compression axiale et sont associées à une rupture du mur postérieur avec un recul et un trait de refend corporéal sagittal ou horizontal visible à l’examen tomodensitométrique. Le traitement sera organisé en fonction des déplacements des structures vertébrales : soit immobilisation par contention pour 3 mois, soit abord chirurgical précédé ou non d’une réduction par traction.

- Les fractures-séparation du massif articulaire : le massif articulaire est séparé de ses attaches antérieures (pédicule et transverse) et postérieure (lame). Elle peut être associée à des lésions disco-ligamentaires et la stabilité du rachis devra être vérifiée à l’issue du traitement si la contention externe est choisie.

C – LES COMPLICATIONS

- La hernie discale cervicale associe un syndrome rachidien cervical (douleur, raideur) à un syndrome radiculaire aux membres supérieurs (névralgie cervico-brachiale). Les clichés standards ne permettent pas le diagnostic, mais celui-ci est fait par l’examen tomodensitométrique ou l’IRM. C’est une éventualité rare à traiter médicalement par repos, antalgiques, anti-inflammatoires, immobilisation, tractions au besoin. La chirurgie n’est indiquée qu’en cas d’échec au traitement médical, dans les formes hyperalgiques ou dans les formes paralysantes.

- Les complications vasculaires : la dissection d’une artère vertébrale est un phénomène

très rare et elle met en jeu la vie du patient. Elle entraîne une ischémie cérébelleuse visible sur la tomodensitométrie crânien.

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Traumatismes du rachis

TRAUMATISMES THORACO-LOMBAIRES I – RAPPEL ANATOMIQUE

La vertèbre thoracique est différente de la vertèbre lombaire. Cette dernière est plus massive, le corps vertébral est plus volumineux, les pédicules courts et trapus. Le rachis dorso-lombaire est rectiligne en plan frontal, les vertèbres thoraciques constituent une cyphose dans le plan sagittal et les vertèbres lombaires une lordose. La stabilité de la région thoracique est accrue par l’insertion des côtes à chaque niveau et, les vertèbres lombaires, si elles constituent une colonne plus massive, sont beaucoup plus souples les unes par rapport aux autres.

II – NOTION D’INSTABILITE C’est la clé du traitement des traumatismes du rachis. L’instabilité peut être soit d’origine

osseuse lorsque la fracture est comminutive et la consolidation stabilisera la lésion. Elle peut être disco-ligamentaire en rompant les éléments du segment mobile rachidien. Dans ce cas, la cicatrisation des parties molles ne peut pas assurer une stabilisation efficace et la solution chirurgicale devient définitive. L’instabilité se reconnaît lorsqu’il existe un déplacement caricatural des vertèbres ou bien lorsque ce déplacement est modéré et qu’il existe des signes neurologiques déficitaires.

Le segment vertébral moyen défini par Roy-Camille est la région vertébrale dont

l’atteinte fait craindre a priori une instabilité. Ce segment vertébral moyen comprend le mur postérieur du corps vertébral, les pédicules, les massifs articulaires et la partie initiale des lames. C’est en fait l’ensemble des structures osseuses qui délimitent le canal rachidien.

III – DIAGNOSTIC A – CLINIQUE Le traumatisme est souvent à grande énergie (défenestration, accident de la voie

publique, accident de travail). En cas de polytraumatisme ou de traumatisme crânien associé, il faut y penser systématiquement et demander des clichés standards du rachis thoraco-lombaire de face et de profil. Le diagnostic est évident en cas de paraplégie, sinon le blessé se plaint de douleurs rachidiennes d’emblée. L’interrogatoire précise les circonstances, l’heure et le lieu de l’accident et le mécanisme lésionnel. Il précise également l’âge et les antécédents du patient. L’examen du rachis est réalisé avec grande prudence en mobilisant le blessé en bloc à l’aide de plusieurs personnes. Toutes les épineuses sont palpées ou percutées prudemment à la recherche d’une douleur localisée. On peut également percevoir une contracture des muscles paravertébraux ou une déformation avec une saillie d’une épineuse, un écartement excessif entre deux épineuses voisines ou une cyphose locale, ce qui permet d’orienter les examens radiologiques. L’examen neurologique est soigneux et fondamental, consigné par écrit avec le nom de l’examinateur, la date et l’heure de l’examen. Il analyse la motricité, la sensibilité, les réflexes et l’examen complet du périnée. L’examen général recherche une lésion associée

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crânio-encéphalique, thoracique ou abdominale, des membres et du bassin. L’examen cardio-vasculaire recherche un état de choc circulatoire associé. A l’issue de cet examen clinique, le bilan visera à répondre aux questions suivantes :

1) La lésion du rachis est-elle isolée ? 2) La lésion du rachis est-elle compliquée sur le plan neurologique ? 3) La lésion du rachis est-elle stable ? B – RADIOLOGIQUE Les radiographies standards comprennent un cliché débrouillage de l’ensemble du

rachis face et profil, puis un cliché centré sur la région suspecte avec au besoin des incidences de ¾.

De face, on examine l’alignement des épineuses ainsi que les bords latéraux des corps vertébraux. On apprécie en les comparant la hauteur et la largeur des corps vertébraux, la hauteur des disques, l’écart entre les deux pédicules, les lames, l’épineuse et les transverses.

De profil, on retrouve l’alignement des bords antérieurs des corps vertébraux, l’alignement des bords postérieurs des corps vertébraux ainsi que l’alignement de la racine des épineuses. On sera particulièrement attentif à la hauteur et à la largeur des corps vertébraux, à la rectitude du mur postérieur, à la hauteur des disques, les pédicules, les articulaires, les épineuses ainsi que l’espace inter-épineux.

La tomodensitométrie rachidienne centré sur la lésion sans oublier les niveaux sus et

sous-lésionnels donne des coupes axiales en fenêtres osseuses qui permettent une bonne visualisation des éléments vertébraux mais aussi de l’espace intra-canalaire. Des reconstructions sagittales sont possibles très rapidement avec les appareils de nouvelle génération.

L’IRM ne se conçoit qu’en cas de déficit neurologique non expliqué par les clichés

radiologiques standards et l’examen tomodensitométrique. Cet examen est particulièrement performant pour démontrer une contusion médullaire, un hématorachis, une hernie discale associée.

IV – LES LESIONS Les lésions disco-corporéales sont les plus fréquentes. La zone où l’on observe le plus les fractures est la charnière dorso-lombaire (T12-L1).

- Les fractures de l’arc postérieur ne compromettent pas l’instabilité - Les fractures intéressant le corps vertébral : la fracture cunéiforme antérieure est

une lésion très fréquente et entraîne une cyphose régionale. En principe, cette lésion est stable. - La fracture comminutive du corps vertébral ou « Burst-fracture » par

compression axiale : le corps vertébral éclate, le mur postérieur est rompu, les fragments osseux reculent dans le canal vertébral. Cette lésion est instable et nécessite le plus souvent un abord chirurgical.

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- La fracture-distraction ou « fracture de Chance » : cette lésion a été décrite lors des accidents de voiture avec décélération chez les passagers ayant des ceintures de sécurité abdominales exclusives (« Seat belt fracture »). Ces fractures peuvent s’accompagner de perforation d’un organe creux ou d’une pancréatite aiguë nécrosante par lésion du pancréas sur le billot vertébral. Elles entraînent une ouverture de la vertèbre d’arrière en avant dans le plan horizontal : hémi-transsection postérieure associée plus ou moins à un tassement corporéal. Cette ouverture peut se faire dans le segment mobile rachidien où les lésions peuvent être associées. Le cliché radiologique de face permet d’évoquer la fracture par la rupture des contours pédiculaires. Cette lésion est instable, de diagnostic difficile et le traitement est chirurgical.

- La fracture-torsion ou fracture-luxation qui disloque un corps vertébral et provoque

la perte de l’alignement du rachis. Les lésions neurologiques sont le plus souvent majeures et le traitement est chirurgical dans tous les cas. La luxation peut être spontanément réduite, mais il existe alors un bâillement ou un pincement anormal d’un espace discal et une minime translation d’une vertèbre sur l’autre. De plus, le blessé a souvent des signes neurologiques. V – LE TRAITEMENT

- Rachis stable : Le traitement orthopédique par contention à l’aide d’un corset bivalve

à 3 appuis : manubrium sternal, pubis, charnière dorso-lombaire, ne se conçoit que pour les lésions stables.

Pour les lésions osseuses de la charnière dorso-lombaire ou des vertèbres lombaires : le corset est prescrit pendant 3 mois si le mur postérieur est intact, si la cyphose régionale est de moins de 30°, si le tassement cunéiforme antérieur intéresse moins de la moitié de la hauteur du corps vertébral.

Le traitement des fractures stables au niveau thoracique peut se passer d’une contention en raison de la stabilité acquise par le grill thoracique.

- Rachis instable : Les lésions instables sont traitées par chirurgie. L’ostéosynthèse du

rachis permet la stabilisation immédiate et la mobilisation rapide du patient en période post-opératoire afin d’éviter les complications thrombo-emboliques, cutanées…

Les cals vicieux sont fréquents en l’absence de traitement chirurgical et la non-réduction d’une attitude vicieuse peut conduire tardivement à une syringomyélie post-traumatique par trouble de circulation de liquide cérébro-spinal.

L’ostéosynthèse du rachis traumatique se fait le plus souvent par voie postérieure en

utilisant des vis pédiculaires associées à des tiges aux étages lombaires et à des crochets sur les lames à l’étage thoracique. Cette arthrodèse est associée à une laminectomie et à une tentative de ré-impaction des fragments osseux intra-canalaires afin de libérer la compression sur le névraxe. Le matériel est le plus souvent en titane permettant de réaliser ultérieurement une IRM au besoin. L’abord par voie antérieure (thoracotomie, laparotomie) n’est pas réalisable en urgence le plus souvent et se discute pour les lésions très déplacées ou déformées en cyphose.

- Rééducation : Elle est systématiquement entreprise soit par kinésithérapie externe en

l’absence de lésions neurologiques (surtout à l’issue de la période d’immobilisation), soit en centre de réadaptation physique en cas de handicap dès la fin de la phase aiguë.