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Armand Colin

CHARLES BALLY : DE BERGSON ÀSAUSSUREAuthor(s): José MédinaSource: Langages, No. 77, Le sujet entre langue et parole(s) (MARS 85), pp. 95-104Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41682022 .

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José Médina

CHARLES BALLY : DE BERGSON À SAUSSURE

Devant un titre tel que Le langage et la vie (lre éd., 1913), la tentation est grande de ne voir qu'une nouvelle formulation de la métaphore biologique du langage : naturalisme de Schleicher ou transformisme darwinien l. Or, si Bally associe le lan- gage à la vie, c'est pour affirmer que le langage est « expression de la vie » {L,V., p. 15) entendue comme « conscience de vivre ». Comme beaucoup de linguistes du début du siècle, Bally, au début de L. V., livre un rapide aperçu de l'histoire de la linguistique avant lui et situe du même coup son point de départ :

« Peu à peu, cependant, on se convainc que la langue n'existe que dans les cerveaux de ceux qui la parlent et que ce sont les lois de l'esprit humain et de la société qui expliquent les faits linguistiques » (L.V., p. 14).

« Lois de l'esprit humain », « lois de la société », si la linguistique comme science est possible, elle rencontre nécessairement sur sa route

« la psychologie , qui montre que rien ne se dit qui ne soit aussi pensé, et la sociologie , qui a guéri les linguistes de la conception naturaliste du langage et a montré qu'il est, au moins partiellement , un produit de la vie sociale » {ibid. ) *.

Notons en passant la réserve - « au moins partiellement » - concernant la sociolo- gie et arrêtons-nous sur cette psychologie qui, ainsi décrite, nous ramène au problème philosophique des rapports de la pensée et du langage et nous fait découvrir un Bally lecteur de Bergson ; en linguistique, il critique la méthode historique parce que « l'évolution n'explique pas tout le langage » (p. 14) et il revendique une linguistique statique d'un état de langue correspondant à la conscience des sujets qui la parlent ; en philosophie, il conteste avec M. Blondel ou H. Bergson - pour ne citer que les Français - la suprématie de la raison pure.

« Le langage naturel, celui que nous parlons tous, n'est au service ni de la raison pure, ni de l'art ; il ne vise ni un idéal logique ni un idéal littéraire (...) il est simplement au service de la vie, non de la vie de quelques-uns, mais de tous, et dans toutes ses manifestations : sa fonction est biologique et sociale » {L.V., p. 14).

Ainsi, pour cerner le langage, nous faut-il quitter les textes littéraires, dépasser la logique et, à partir de la parole de tous les sujets parlants, remonter à l'origine : la vie psychique intuitionnée dans la conscience.

« Je cherche à caractériser les procédés expressifs du français en comparant les éléments intellectuels de la langue avec ses éléments affectifs. Pour moi la tâche de la stylistique con- siste à rechercher quels sont les types expressifs qui, dans une période donnée, servent à rendre les mouvements de la pensée et du sentiment des sujets parlants, et à étudier les effets produits spontanément chez les sujets entendants par l'emploi de ces types » (ibid., p. 59).

* Souligné par nous comme dans les citations qui suivent (sauf mention particulière). 1. Cf. les titres de l'ouvrage de A. Darmesteter, La Vie des mots , (1887) et de l'article de

A. Hovelacque : « La vie du langage » article paru dans La République française (20 juillet 1877).

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L'opposition intellectuel/affectif, l'attention particulière aux « mouvements de la pen- sée et du sentiment », sans compter les innombrables passages dans lesquels Bally se réclame explicitement de la psychologie, autant d'indices d'une orientation qui l'asso- cie à Wundt (1904-1920), mais aussi J. Van Ginneken (1907), Séchehaye et plus tard H. Delacroix (1924) 2. Rien d'étonnant, donc, à ce que Bally remonte de la langue- expression à la pensée, s'interroge sur le passage de l'une à l'autre et du même coup exclue l'histoire de la langue que parle le locuteur sans en avoir conscience.

L'expression de la vie : contre le logicismo et l'intellectualisme.

Bally fait plus que rattacher l'étude du langage à l'étude de l'esprit ou de la pen- sée. 11 prend comme norme de vie, garantie de la réalité expérimentale, « vécue », de ses thèses. En aucune façon, le langage dont doit s'occuper le linguiste ne doit être figé (celui de la littérature, d'une classe d'individus) ; il doit au contraire être pris dans la réalité de la vie. D'où le privilège du langage parlé « dans la vie réelle » auquel corres- pond la pensée réelle et subjective aux prises avec la vie et non pas la pure logique de l'intelligence. Or la philosophie qui précisément oppose l'intelligence à l'intuition, qui tente de saisir la vie psychologique dans son originalité, au-delà des médiations réductrices de la logique et des symboles, est celle de Bergson, auquel Bally fait explicitement référence dans un chapitre de L. V. dont le titre à lui seul est significa- tif : « l'intelligence et le langage » :

« L'intelligence au service de la vie enveloppe et dépasse notre logique aux normes géomé- triques ; elle joue avec elle sans s'y asservir : le langage le montre mieux que n'importe quoi. On pense involontairement à l'intuition bergsonienne, et le langage, dans ses rapports avec la vie, semble donner raison à M. Bergson quand il dit que « la vie déborde l'intelli- gence de toutes parts » et que « notre science est caractérisée par une incompréhension mutuelle de la vie ». Il semble en tout cas que l'intelligence qui anime le langage soit de même nature que celle qui ordonne les phénomènes de la vie, en cela surtout qu'elle diffère essentiellement de la raison logique. Le langage ne se comprend bien qu'en fonction de la pensée telle que la vie la façonne, et l'on peut se représenter cette pensée comme un orga- nisme dont l'intelligence logique forme l'ossature ; les muscles et les nerfs, ce sont nos senti- ments, nos désirs, nos volontés, toute la partie affective de notre esprit... » (p. 23).

On le voit, Bally n'élimine pas complètement le rôle de l'intelligence dans la pensée et conséquemment dans le langage, il s'agit seulement d'élargir le champ de la pen- sée, au-delà de la raison logique, à l'affectivité. Reportons-nous aux textes de Berg- son, nous y trouvons les mêmes analyses de l'intelligence en opposition à la vie rap- portée d'abord à l'instinct :

« L'intelligence vise d'abord à fabriquer. La fabrication s'exerce exclusivement sur la matière brute, en ce sens que, même si elle emploie des matériaux organisés, elle les traite en objets inertes, sans se préoccuper de la vie qui les a informés. De la matière brute elle ne retient guère que le solide : le reste se dérobe par sa fluidité même » (Bergson, 1907, p. 166-167).

L'affinité des solides et de l'intelligence est transposée par Bally dans l'expression « logique aux formes géométriques ». Par là, Bally suit Bergson dans l'idée que

2. Wundt : Völkerpsychologie (1904-1920) ; J. Van Ginneken : Principes de Linguistique psychologique (1907) ; A. Séchehaye : Programme et méthodes de la linguistique théorique (1908) ; H. Delacroix : Le langage et la pensée (1924). La conjoncture théorique de prise en compte des problèmes du langage à la charnière du XIXe-XXe est marquée par les essais de cons- titution d'une linguistique comme discipline « autonome » et « générale » avec comme terreau et horizon des problématiques psychologiques. Cf. Langages n° 49 et Avant Saussure (éd. Complexe, 1978).

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l'esprit ne se réduit pas au cerveau et que la mobilité qui caractérise la vie de la conscience (« fluidité ») est hétérogène aux formes solides de l'intelligence. La logique caractérise le mode par lequel l'intelligence saisit la multiplicité qualitative en lui substituant une discontinuité quantitative 3. L'instinct plus que l'intelligence est pro- che de la vie, et quand il s'agit de la vie psychique, l'incessante variation de chaque état psychologique demande une attention plus fine que l'intelligence ; Bergson l'appelle intuition . En évoquant « involontairement » l'intuition et le débordement par la vie de l'intelligence, Bally reprend donc l'analyse bergsonienne de la pensée comme vie de l'esprit en se situant comme Bergson sur le terrain de la psychologie. La démarche du philosophe est cependant différente, elle est de plus solidaire d'une conception du langage :

« (...) la pensée réelle concrète, vivante, est chose dont les psychologues nous ont fort peu parlé jusqu'ici, parce qu elle offre malaisément prise à l'observation intérieure. Ce qu'on étudie d'ordinaire sous ce nom est moins la pensée même qu'une imitation artificielle obte- nue en composant ensemble des images et des idées. Mais avec des images et même avec des idées, vous ne reconstituerez pas de la pensée, pas plus qu'avec des positions vous ne ferez du mouvement. L'idée est un arrêt de la pensée (...). La pensée (est) un mouvement indivisible et (...) les idées correspondant à chacun des mots sont simplement les représenta- tions qui surgiraient dans l'esprit à chaque instant du mouvement de la pensée si la pensée s'arrêtait ; mais elle ne s'arrête pas (...) » (Bergson, 1912, p. 44-45).

Qu'en est-il donc chez Bally des rapports de la langue à la pensée vivante ? Suit-il la pensée de Bergson dans toutes ses conséquences ?

Conséquence méthodologique : l'introspection.

« Au fond, tout est psychologique dans la langue » (F. de Saussure, C.L.G., p. 21). Si, pour saisir au niveau le plus profond les mécanismes d'expressivité de la lan-

gue, il faut porter son attention à la vie intérieure, la voie royale d'une telle observa- tion est, dans la pure orthodoxie bergsonienne, l'introspection . Ici, l'on peut penser que Bally était d'autant mieux préparé à emprunter cette voie qu'elle s'accorde avec l'enseignement de Dilthey que lui-même suivit à Berlin 4. Dilthey, opposait alors les sciences de la nature aux sciences de l'esprit qui

« ont pour objet des faits qui se présentent à la conscience comme des phénomènes donnés isolément de l'extérieur, tandis qu'ils se présentent à nous-mêmes de l'intérieur comme une réalité et un ensemble vivant originaliter * (...). Dans les sciences de l'esprit (...) l'ensemble de la vie psychique constitue partout une donnée primitive et fondamentale. Nous expli- quons la nature, nous comprenons la vie psychique ». « Idées concernant une psychologie descriptive et analytique »in Le Monde de Vesprit (trad, fr., 1947, p. 150).

Certes, l'on peut comparer sa langue maternelle à une autre langue, l'allemand par exemple, ce que fait constamment Bally, mais les « découvertes faites chez autrui (...) demandent à être complétées par l'observation subjective » (L. V. , p. 59). Evi-

* En latin dans le texte. 3. « ... cest que la logique est un principe d immobilité, alors que la vie est tout entière

élan, poussée, transformation » {L.V., p. 19). La pagination des citations de L.V. renvoie, sauf mention, à la 3e édition.

4. D'avril 1886 à août 1889, Bally est étudiant à Berlin jusqua la soutenance de sa thèse, préparée sous la direction de Hermann Diels. D'après Georges Redard, « Bally disciple de Saussure », il indiquerait à la fin de sa thèse qu'il eut pour maître en philosophie W. Dilthey.

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demment, l'introspection, « toute spontanée », ne permet pas « au sujet de s objecti- ver » : « Il ne se voit pas tel qu'il verrait un autre sujet ». Mais cette observation intérieure a l'immense avantage d'être au plus près de la vie et donc d'être plus pro- fonde. Soit en style bergsonien :

« Ce que le sujet surprend en lui-même à chaque coup de sonde, c'est la succession ininter- rompue de ses états de conscience, représentations, idées et émotions, la vie de son esprit dans sa mobilité, les manifestations diverses de son tempérament » (L.V., p. 58).

Bien plus, l'introspection permet de dépasser ce que Bally appelle la « barrière intel- lectuelle », symbolique, « des manifestations extérieures de notre être ». Nos actes, nos mouvements volontaires, ou involontaires, nos paroles, constituent autant de symboles à interpréter par l'observateur extérieur « sous un angle intellectuel », c'est- à-dire à travers des catégories générales, abstraites, et par conséquent, « schémati- ques », « simplistes », réductrices. Dans sa conception du symbole comme transposi- tion intellectuelle et logique de la réalité concrète, Bally est strictement fidèle aux analyses de Bergson. En linguistique donc, contre la généralité et l'abstraction des comparaisons faites de l'extérieur entre deux langues différentes, ou entre deux indi- vidus parlant la même langue, l'observation interne, subjective, s'impose comme une procédure de contrôle indispensable, puisque « notre être n'est pas tout entier intel- lect » et que le « fond de notre être nous échappe souvent dans ses traits essentiels » (op. cif., p. 58). L'introspection est alors la seule manière de voir en profondeur la réalité de notre vie psychique.

Cette méthode psychologique fondée sur la critique de l'intellectualisme et la réfé- rence toute bergsonienne à la vie est déterminante dans la pensée de Bally et consti- tue de son propre aveu son apport personnel ' Ainsi, en présentant la pensée du maître, Bally tentera de la relier directement à la méthode saussurienne dont il déclare s'inspirer :

« Une linguistique qui s'inspire des idées sausuriennes (...) doit tout ramener à la cons- cience que nous avons de la langue. Notre méthode sera psychologique ou elle ne sera pas (...). Sans doute l'introspection n'est pas plus nouvelle en linguistique qu'en psychologie ; mais pour l'appliquer au langage, il faut oublier bien des choses : les notions fausses de la grammaire normative, la perpétuelle illusion créée par Técriture et l'orthographe, l'étymolo- gie, l'histoire (...). Toute la recherche doit se concentrer sur les rapports de la pensée au langage. En se repliant sur soi-même au moment précis où une pensée particulière ou un mouvement affectif vient s'enchâsser dans une phrase, il s'agirait d'analyser les actes suc- cessifs de ce drame complexe : les motifs qui ont déterminé la pensée ou le sentiment, le type général de pensée où s'emboîte cette pensée particulière pour les besoins de la compré- hension et de l'action, puis les formes linguistiques qu'elle revêt spontanément, réductibles elles-mêmes à des types généraux » (op. cit., pp. 156-157).

Dans ce passage du type général de pensée au type général de forme linguistique, on pourra mesurer les rapports entre psychologie et linguistique dans l'analyse de Bally : bien évidemment, il ne s'agit pas de rester à l'intérieur de la pensée, l'introspection doit aboutir à la langue commune spontanée mais organisée « pour les besoins de la compréhension et de l'action » et par conséquent appauvrie par rapport au mouve- ment affectif de la pensée originaire du sujet. Bally, dans le même temps où il reprend à son compte la définition saussurienne de la langue, maintient le reproche

5. « Est-il hors de propos d'ajouter, en terminant, quelques idées qui me sont personnelles , tout en se rattachant étroitement à celles de F. de Saussure ? » (L.V., p. 156, c'est nous qui soulignons).

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bergsonien d'intellectualisme (la langue commune, normale, est intellectuelle) et accentue l'opposition de cette langue commune à la parole subjective 6.

De plus, Le langage et la vie (1913) dédié à Saussure, se transforme dans ses édi- tions successives (1926, 1955) et dessine finalement chez Bally une véritable évolution de Bergson à Saussure. On comparera pour sen assurer le chapitre intitulé en 1913 « Le fonctionnement du langage » au chapitre qui le remplacera dans l'édition de 1935 intitulé « le système linguistique ». Le point de départ de Bally que nous avons qualifié de bergsonien, lui-même le situe à l'opposé de Saussure :

« Quant à moi, les circonstances ont voulu que je rencontre sa pensée en partant de l'extré- mité opposée du champ d'observation. Dans mes leçons du Séminaire de français moderne, auquel j'adresse ici un hommage reconnaissant - car c'est dans son sein qu'ont germé mes idées sur le langage affectif - je fus amené à étudier les valeurs expressives du langage spontané, naturel, dépouillé de tout vêtement littéraire, de la langue parlée dans la vie réelle » (L. F., p. 157). Il s'agit de 1893, année où Bally donne des leçons de traduction d'allemand en

français, à la demande de Bernard Bouvier. Selon Godei (1982) « de ces leçons et des réflexions qu'elles lui inspirèrent se dégagea, au cours des années, non seulement une méthode originale et sûre, mais une théorie nouvelle du langage. Pour la première fois, l'expression affective de la pensée était étudiée pour elle-même et dans ses pro- cédés particuliers (intonations, figures, synonymes et tours expressifs) » (p. 55). Il ne s'agit donc pas de contester l'originalité de la pensée de Bally mais de s'en tenir à la référence à un texte de Bergson datant de 1907 (L'évolution créatrice ) dans un texte édité en 1913 (Le langage et la vie) et de rendre compte, à partir de cette référence, de difficultés propres à l'œuvre de Bally. Mais la fécondité de la confrontation Bergson /Bally prend d'abord son sens au détour d'une épreuve : Bally est-il totale- ment bergsonien dans sa conception du langage ? Quelles en sont les conséquences sur ses rapports avec Saussure ?

De la langue-nomenclature (Bergson) à la langue système (Saussure).

Bergson n'a pas simplement donné à Bally sa thématique de la vie et sa critique de l'intellectualisme Il y a chez lui une critique du langage qui semble présente chez Bally alors même qu'il élabore son projet de stylistique. Reste que les positions de Berg- son et de Saussure sont inconciliables et que durant les éditions successives du Langage et la vie , Bally oscille entre les deux. Dès 1888, Bergson écrivait :

La conscience tourmentée d'un insatiable désir de distinguer, substitue le symbole à la réalité : on n'aperçoit la réalité qu'à travers le symbole » (p. 96).

Et plus loin : « Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent. La pensée demeure incommensurable avec le langage (...) le langage ne fixe que l'aspect objectif (...) des senti- ments qui agitent l'âme » (p. 123).

6. Cette position singulière de Bally, à la fois bergsonien et saussurien, est repérable chro- nologiquement en 1913, dans sa leçon d'ouverture du Cours de Linguistique Générale intitu- lée : « Ferdinand de Saussure et l'état actuel des études linguistiques » (reproduit en L.V. 2, 1926).

7. Bergson par ailleurs aura en linguistique un disciple reconnu, Léonce Roudet (cf. 1921 in Journal de Psychologie normale et psychologique , 18, pp. 676-692) : « Sur la classification psychologique des changements sémantiques ». Roudet distingue « le signe adhérent à la chose signifiée » comme on le rencontre chez les animaux et le « signe intelligent mobile » du langage humain. « Le système des mots et celui des idées sont interdépendants, toute image verbale de mot ou de syntagme est associée à une idée mais la réciproque n'est pas vraie (p. 688).

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En 1900, il développe sa conception du mot-étiquette et insiste sur l'incapacité du langage à exprimer la pensée dans toute sa richesse et ses caractéristiques : mobilité, subjectivité, affectivité.

« (...) Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'effet du langage. Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des genres. Le mot qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue entre elle et nous (...). Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes (...). Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles (...) » (p. 177).

La question de savoir si la conception bergsonienne du langage se retrouve telle quelle chez Bally se ramène alors à deux questions que l'on peut poser à Bally :

1. dans la pensée posée comme antérieure au langage, y a-t-il de l'inexprimable ? 2. les mots sont-ils des étiquettes sur les choses ?

De son côté, Bally nous dit que le symbole n'est qu'une transposition schématique de notre vie intérieure : « D'abord il est rare qu'à un symbole corresponde un seul fait de pensée ; il est rare aussi qu'un seul fait de pensée se traduise par un symbole » (op. cit., p. 58). Mais, curieusement, jusque dans le chapitre intitulé « Mécanisme de l'expressivité linguistique » 8 dans lequel apparaît le concept saussurien de valeur, se maintient la position bergsonienne sur les deux questions que nous posions plus haut. Bally expose ce qu'il appelle l'antinomie fondamentale entre l'expression et la communication :

« Pour que des millions d'individus se comprennent, il faut que les mots expriment des idées simples, générales, abstraites, et que les rapports -établis entre les idées portent le même caractère : tout cela se fait aux dépens de l'expressivité car le sentiment est synthéti- que et singulier donc incommunicable » (p. 79).

Comme Bergson, il associe langue et intellect. « Telle est donc l'antinomie fondamentale qui sépare la langue de la pensée ; des états psychiques prédestinés à l'affectivité sont également prédestinés par la langue à l'expression intellectuelle. La mort, la souffrance, l'injustice, sont des représentations chargées d'émo- tion latente : mort , souffrance , injustice sont autant d'étiquettes de concepts abstraits et froids » (ibid. ). Le passage de la pensée à la langue correspond à une déperdition de subjectivité :

la langue de tous, vouée à la communication, généralise, dépersonnalise et objective. Le sujet parlant a donc recours d'abord à toutes les formes expressives à l'intérieur de la langue, puis, ou en même temps, aux ressources de l'expressivité extra- linguistique.

« La langue qu'un individu a héritée du milieu où il vit lui permet-elle dans chaque circons- tance de dire tout ce qu'il veut dire et de le dire comme il veut ? Trouve-t-il dans la langue et dans la langue seule, la quantité et la qualité des ressources nécessaires pour l'expression adéquate de sa pensée ? Evidemment, non, et (...) il peut puiser pour suppléer aux insuffi- sances de la langue (...) [dans] la réalité extra-linguistique (...) la situation *... » (p. 76) 9.

* Souligné dafts le texte. 8. In ed. de 1926. Ce chapitre est inspiré d une communication faite le 30 mai 1925 à la

Société de philosophie de Genève. 9. De même Bergson, conscient de l'incapacité des mots à tout dire, est attentif à ce qu il

appelle la chorégraphie du discours : « Les mots auront beau (...) être choisis comme il faut, ils ne diront pas ce que nous voulons leur faire dire si le rythme, la ponctuation et toute la choré- graphie du discours ne les aident pas à obtenir du lecteur, guidé alors par une série de mouve- ments naissants, qu'il décrive une courbe de pensée et de sentiment analogue à celle que nous éprouvons nous-mêmes » (L'énergie spirituelle , p. 46).

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Tout se passe comme si Bergson fournissait à Bally une base de réflexion à partir de laquelle il peut recevoir et même intégrer la pensée saussurienne. Dans sa présen- tation de 1913 (LV, p. 157) il écrivait :

« Ferdinand de Saussure était un intellectualiste convaincu, son tempérament scientifique le poussait à chercher et à lui faire trouver ce qu'il y a dans toute langue, et dans le langage en général, de régulier, de géométrique, d'architectural ; c'est pour s'être attaché aux aspects intellectuels de la langue qu'il a atteint de si brillants résultats. Pour lui la langue est l'œuvre de l'intelligence collective, c'est un organisme intellectuel. »

Saussure est-il intellectualiste parce qu'il ne s'occupe pas de l'affectivité du sujet parlant, de ce qui apparaîtrait comme irrégulier parce que singulier ? En quoi con- sistent donc pour Bally les aspects intellectuels de la langue ?

Certes, « intellectuel » s'oppose à affectif mais son sens s'enrichit de la liaison entre affectivité et subjectivité. Du coup, intellectuel veut dire aussi « objectif » et « collectif », et renvoie bien évidemment aux cerveaux de tous les sujets parlants :

« l'objet vrai de la linguistique est uniquement le trésor des signes et des valeurs où se révèle l'accord tacite de la communauté » {op. cit., p. 151). Et plus haut : « Une langue est un système de signes vocaux auxquels tous les sujets parlants d'une communauté linguisti- que attachent les mêmes valeurs. » Comment, dans ces conditions, exprimer l'affectivité et donc la subjectivité ?

Sans même s'expliquer sur la valeur, l'on sait déjà qu'elle doit être commune à tous, échangeable dans son objectivité, en un mot, générale. C'est précisément le cas de la conception bergsonienne du mot comme symbole, étiquette abstraite intellectuelle, conception que l'on retrouve chez Bally jusque dans sa compréhension du concept saussurien de valeur.

« la valeur correspond à ce que nous nommons la signification lorsqu'il s'agit des mots » (p. 151). Ainsi, contrairement au chapitre IV du C.L.G. (en particulier § 2), mais en

accord avec la conception bergsonienne de la langue comme nomenclature, Bally, en tout cas dans L. V., assimile valeur à signification . Cela apparaît encore plus claire- ment dans un passage où les principes généraux de la linguistique sausurienne sont exposés et mis en rapport avec l'antinomie propre à Bally ; expression- communication (LV, p. 80) :

« Quand la langue arrive à ses fins, le signe linguistique devient purement conventionnel, ou, comme le dit de Saussure, arbitraire... et il l'est non seulement dans sa forme matérielle et phonique - son signifiant - , il l'est aussi dans sa signification, sa valeur - son signifié. Le mot n'est plus qu'une étiquette appliquée sur un concept. Dans les sons du mot femme - son signifiant - il n'y a rien qui évoque l'image sensorielle d'une femme mais la valeur même de ce mot - son signifié - est celle d'un pur concept, intelligible mais non représen- table, délimité du dehors par d'autres concepts qui lui sont habituellement associés au moyen d'autres mots-étiquettes ; sans l'aide de la parole et du langage individuel, il ne cor- respondrait jamais à une représentation concrète et actuelle, ni même à l'idée générale que chacun se fait de la femme, et qui diffère d'un individu à l'autre. Le mot femme est donc bien arbitraire dans son signifiant et son signifié, et il en est de même de tous les signes conformes à l'idéal que poursuit la communication. Il s'ensuit qu'ils présentent les senti- ments sous le vêtement des idées... ».

Ce passage de 1926 (cf. supra et n. 8) marque une étape dans l'évolution de Bally. La langue n'est plus présentée comme un système de symboles » ( T.S.E. , 1909) mais comme un système de signes. Reste que le signe est pris dans le sens bergsonien ď étiquette.

Ainsi Bally prend à la lettre la définition saussurienne du signifié, comme concept uniquement intelligible et donc dénué d'affectivité. Saussure non seulement aurait

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fait la linguistique de la langue commune mais encore celle des idées. Or, Bally, qui voit bien comment l'affectivité est exprimée « en marge de la langue commune », d'une part élargit la définition du langage en reprenant la perspective sémiologique de Saussure :

« Le langage désignera ici l'ensemble des moyens par lesquels les sujets peuvent, en marge de la langue commune, rendre d'une façon plus ou moins personnelle leurs pensées, leurs sentiments, leurs désirs, leurs volontés (...). Le langage baigne dans l'ensemble des signes qu'étudie la sémiologie. Il n'y a aucune distinction de principe à faire entre un froncement de sourcils, par exemple, et une phrase exprimant la colère » ;

d'autre part, il soutient qu'il est possible, en se maintenant au niveau strictement lin- guistique, de lever l'antinomie entre langue et pensée :

« L'antinomie entre langue et pensée est-elle donc irréductible ? La langue demeure-t-elle impuissante à exprimer par elle-même le sentiment, le désir, la volonté ? Nous savons bien qu'elle en est capable ». L.V., p. 82). Là encore, c'est en suivant la théorie bergsonienne que Bally trouve la réponse à

la question : comment l'affectivité s'exprime-t-elle dans la langue ? S 'intéressant aux « procédés , c'est-à-dire aux ajustements linguistiques obéissant à des règles détermi- nées et qui, en vertu de ces règles, sont susceptibles de répondre à des motifs affectifs ou de déclencher des effets expressifs » (p. 83), il repère l'affectivité dans le phéno- mène d'association implicite. Ainsi, la langue peut être intellectuelle, elle offre cepen- dant la possibilité d'associations soit au niveau du signifiant, soit au niveau du signi- fié : le signifiant provoque naturellement une « impression sensorielle », le signifié, par transposition, transforme le concept en « représentation imaginaire » (LF, p. 83). Lisons maintenant Bergson (1907) :

« Il faut un langage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transposer d'un objet à un autre est caractéristique du langage humain (...) le signe intelligent est un signe mobile ». Bergson dans la même page prenait exemple dans le langage enfantin pour y

montrer la mobilité du langage dans l'analogie et la transposition. Bally procède de la même manière à des fins pédagogiques : « (...) dans les faits de langage non socia- lisés, (...) le mécanisme est plus apparent en même temps que leurs effets sont plus évidents » (LV, p. 83). Et Bally de montrer comment, avec des mots arbitraires , un enfant sortant de chez le dentiste peut, en plus de ses cris de douleur (association au niveau du signifiant) dire que « c'était un clou qui m'entrait dans la dent ». (Rap- prochement de deux idées transformant le concept en une représentation imaginative qui concorde avec l'émotion.) En appliquant l'analyse à chaque niveau, celui du signifiant et celui du signifié, Bally montre comment les associations implicites se font par combinaison (signes articulatoires avec des éléments non articulatoires, mélo- die, accent, durée...) et par substitution . (Bally reprend le terme ďhypostase en le généralisant).

LINGUISTIQUE GÉNÉRALE ET LINGUISTIQUE FRANÇAISE : BALLY DISCIPLE DE SAUSSURE ?

Expressivité et arbitraire du signe : la motivation.

Dans Le langage et la vie , nous avons vu comment une lecture bergsonienne du signe comme symbole intellectuel conduisait Bally à voir dans l'arbitraire du signe l'ultime preuve de l'intellectualisme de Saussure. Dans Linguistique générale et

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linguistique française , le thème de l'intellectualisme disparaît et Bally reprend la théorie de l'arbitraire et de la motivation telle quelle est formulée par Saussure et se propose de la « compléter » et de la « systématiser ». Le complément consiste en une théorie de la motivation, la systématisation vise la langue elle-même sous cet aspect désormais plus riche qu est la langue parlée.

Notons qu'entre Le langage et la vie , dès 1926, et Linguistique générale et lin- guistique française , 1932, Bally conçoit différemment l'arbitraire du signe. Sa pre- mière conception est plus psychologique puisqu'il associe arbitraire et linéarité des signifiés :

« Pour un signe, la perte d'une valeur expressive se traduit par un retour partiel ou total au caractère linéaire, parce que cette perte suppose la rupture des associations implicites qui déclenchent une perception ou une représentation. Une image morte est un signe autrefois complexe qui est redevenu simple (p. ex. comprendre qui signifiait jadis « embrasser par la pensée »). Comme Wut se tient dans ce mécanisme, on voit en outre que linéarité et arbi- traire du signe sont souvent des termes synonymes, de même que la non-linéarité est très souvent une forme de motivation » {LV, p. 95).

Ici l'arbitraire est un caractère, négatif, d'appauvrissement de l'expressivité, qui con- fère au signe une certaine fixité de valeur. L'arbitraire se présente alors dans son sens le plus traditionnel de non -motivé, sans aucun lien naturel ni pouvoir d'évocation.

Au contraire, dans L.G.L.F., le champ associatif n'est pas seulement rapporté à la motivation. Plus un signe est arbitraire, « plus nombreux sont les rapports qu'il contracte en dehors de lui pour fixer sa valeur » (p. 133). Ce qui était présenté comme une perte devient alors une liberté :

« De fil en aiguille, on arrive à des signes qui déclenchent un nombre illimité d'associations dont aucune n'est asbolument privilégiée et où chaque sujet peut faire son choix selon les hasards de la parole ; mais ces signes ne sont autres que les signes arbitraires tels que les définit F. de Saussure » (p. 136). Du coup, les rapports sont inversés et la linéarité se retrouve du côté de la moti-

vation idéale : « le propre du signe totalement motivé serait de reposer sur une . *.,uon Interne

obligatoire (...). Grammaticalement, le signe motivé idéal sera constitué par un syntag^ie unique » (idem).

Assurément, il y a là l'indice d'une intégration plus conséquente de la conception saussurienne de la langue comme système et de la valeur oppositive et différentielle du signe.

Les caractères de l'objet de la stylistique, la langue parlée, à savoir l'universalité (le parler moyen), l'expressivité, la spontanéité, doivent pouvoir se retrouver dans les associations constitutives du signe, du point de vue du signifiant, comme du signifié. Si la stylistique est psychologique, en ce qu'elle s'occupe d'expressivité, elle doit res- ter strictement linguistique malgré les apparences. L'association qui intéresse Bally ne doit pas être subjective et conditionnelle, mais doit comporter un caractère impé- ratif (règle) et spontané (inconscient). Il va sans dire que cette spontanéité n'a rien de naturel voire d'inné, il s'agit d'un automatisme acquis socialement, constitutif d'un état de langue dans les consciences de chaque sujet parlant. La langue est exté- rieure aux individus, l'association doit l'être également. D'où la question de Bally :

« Y a-t-il des associations préférentielles et privilégiées qui se présentent avec un caractère tellement impératif et spontané qu'il soit impossible de concevoir sans elles les signes qui les déclenchent ? » (L.G.L.F., p. 134).

Les exemples de Bally aboutissent à la construction de la notion de motivation impli- cite interne et nécessaire par cumul. On peut en distinguer des classes :

- noms d'agent : boucher , boulanger...

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- noms d'instrument : charrue ... - verbes négatifs : ignorer , refuser, nier...

Ici, l'association est spontanée, nécessaire, et fait corps avec le signe qu'elle motive implicitement de manière naturelle et logique, à l'intérieur de la langue. Le sujet par- lant trouve donc à sa disposition des moyens d'expression tout prêts et qui cependant donnent à chaque individu l'illusion qu'il parle d'une façon personnelle, en rapport plus immédiat avec la vie.

Ainsi Bally a réussi à annexer « au domaine de la langue une province qu'on a beaucoup de peine à lui attribuer : la langue parlée envisagée dans son contenu affectif et subjectif » (L. V., p. 158). Cependant, en retenant comme critère l'affecti- vité, il faudra prendre garde de bien délimiter l'objet de la stylistique en faisant la part de ce qui est purement linguistique et extra-linguistique. En suivant le caractère subjectif de l'expression affective, il faudra éviter le solipsisme et tenir compte de la dimension sociale du langage. Ces difficultés constituent l'originalité de la stylistique de Bally : par sa méthode et son inspiration, elle renvoie à la psychologie et à la phi- losophie via Bergson et Dilthey ; elle se définit cependant comme strictement linguis- tique et dès 1913 ne se contentera pas d'une référence formelle à Saussure, sous forme de l'hommage à un martre, mais visera à intégrer progressivement la concep- tualité du Cours de linguistique générale (1916) même si la démarche fondamentale reste marquée par une autre inspiration et d'autre? finalités.

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